1868 - Rapport sur les missions du Diocèse de Québec - Volume 18



Collectif. Rapport sur les missions du Diocèse de Québec et autres missions qui en ont ci-devant fait partie, vol. 18, Québec, Ateliers Léger Brousseau, avril 1868, 166 p. Disponible en ligne : http://books.google.ca/books?id=tlpNAAAAYAAJ&source=gbs_book_other_versions, consulté le 31 octobre 2012.

p.23

Mission de Nataskouan.

Nous extrayons ce rapport adressé à Mgr. l'Evêque de Rimouski de la Voix du Golfe, où il a été publié. Cette mission appartenait jusqu'au mois de mai dernier au diocèse de Québec et était soutenue par l'oeuvre de la Propagation de la Foi, dans le même diocèse.

Novembre 1867.

''Voilà à peu près une dizaine de jours que je suis arrivé de la mission d'été. Aussi, quant à donner à Votre Grandeur, comme elle me le demande, des renseignements sur les progrès de la religion dans toutes les missions qui me sont confiées, il semble que je ne puis être mieux en état de le faire qu'en ce moment. Cependant, ce n'est point pour moi un rapport facile à jeter sur le papier, et je préférerais beaucoup vous l'adresse de bouche que par lettre. Mais enfin, il faut faire de nécessité vertu et exécuter le moins mal que je pourrai ce qu'il me semblerait facile de faire verbalement.

''Je suis parti de Nataskouan, le 29 juin, après la messe, et je n'y suis revenu, après toute la diligence possible, que le 13 septembre. J'ai dit la messe ou fait la mission dans 34 places différentes, éloignées les unes des autres de une, deux et jusqu,à dix ou douze lieues. Il faut donc plier bagage bien des fois et le déplier encore autant. On est exposé à bien des contre-temps ; cependant, pour ma part, Monseigneur, j'ai bien [p.24] peur de n'avoir point de mérite à présenter à Dieu, à ma dernière heure, si je ne porte pas plus de croix ou ne rencontre pas plus de misères dans le reste de ma vie que je n'en ai eu jusqu'à présent. Les mérites seuls de N.S. Jésus-Christ devront me faire une place dans le ciel, où je n'aurai rien à présenter pour l'avoir.

''Il y a dans ce qui dépend du diocèse de Rimouski sur la côte du Labrador et dans ma mission entre 115 et 120 familles catholiques, et, autant que je puis le connaître, une cinquantaine de familles protestantes dans lesquelles il n'y a aucun membre catholique : dans 6 ou 8 autres familles, le père seul est protestant. Chez beaucoup de ces protestants, au moins chez plusieurs, c'est je crois le don seul de la Foi qui manque ; car si quelques-uns ne sont pas entièrement convaincus de la vérité de la religion catholique, un bon nombre n'ont aucune confiance dans leur religion d'Henri VIII ou reconnaissent qu'elle est fausse. La raison voit et comprend, mais le coeur s'obstine. J'ai reçu cet été l'abjuration de deux jeunes gens, tous deux d'une vingtaine d'années et les ai baptisés. Ils se préparent cet hiver à faire leur première communion. C'étaient deux frères dont la mère est protestante ; le père est mort. Un troisième de la famille un jour vient à confesse et veut de suite virer casaque comme les autres, dit leur mère. Dans cette famille toute protestante avant l'arrivée des missionnaires et composée de 5 garçons et de 2 filles, 4 garçons et une fille se sont convertis ; le cinquième, comme je viens de le dire, se prépare à faire comme les autres. Et cependant, il y a actuellement un ministre qui les visite au moins deux fois par année. Je crois qu'avant peu il y aura encore quelques conversions.

[p.25] ''Sur ces 5 familles protestantes, une trentaine sont groupées à Salmon Bay et au Vieux Fort, à 60 ou 80 lieues de Nataskouan ; elles ont un ministre congrégationaliste au milieu d'elles ; elles étaient toutes anglicanes auparavant ; mais aujourd'hui, les voilà congrégationalistes, Pour la plupart, elles sont prêtes à suivre toutes les religions, sauf la religion catholique. Dans cette place je ne vois encore jour à aucune conversion. Si un prêtre la visitait plus souvent, les préjugés devraient tomber comme partout ailleurs : à l'heure qu'il est, le missionnaire ne peut y aller qu'une fois et encore ne peut-il les voir. Si l'on met un missionnaire à Pied-Noir, c'est-à-dire à 15 ou 20 lieues plus bas, les choses devront changer de face pour la plus grande gloire de Dieu et le salut des âmes. J'espère que le bon Dieu va donner les moyens de mettre à exécution les plans que j'ai humblement proposés, et les charitables démarches que Mgr. l'Archevêque et Votre Grandeur ont faites pour leur réussite.

Il y a deux ministres protestants établis dans la partie de la mission du Labrador qui appartient au diocèse de Rimouski, l'un anglican, établi à St. Augustin, à 60 lieues plus bas que Nataskouan, l'autre congrégationaliste, établi à Salmon Bay à 80 lieues d'ici. Le mal que leur présence malheureuse produit dans ces missions est d'empêcher les honnêtes protestants de se convertir, et de répandre partout force bibles, pamphlets et journaux remplis de mensonges et de niaiseries contre le catholicisme. Ces livres ne détruiront pas la foi chez les catholiques, mais pourrait peut être l'affaiblir chez quelques-uns, en bien petit nombre. Je fais tout mon possible pour défendre contre cette épidémie toutes mes ouailles.

[p.26] ''Voilà où en est le protestantisme sur la côte, où en est, à l'heure qu'il est la vraie religion ? J'ai la consolation de dire à Votre Grandeur, Monseigneur, que tous les catholiques, à une ou deux exceptions près, sont heureux chaque fois que le missionnaire apparaît au milieu d'eux : la plupart trouvent bien long le temps qui s'écoule entre les missions. Ces deux exceptions à peu près, dont je parle veulent être catholiques et voudraient ce me semble, l'être réellement, mais sans trop voir le prêtre. L'ivrognerie fait quelques ravages à une couple de places : mais le bon Dieu semble fatigué de cet infâme vice. Les punitions sont terribles et immédiates à en faire frémir le peuple qui a des yeux pour voir et des oreilles pour entendre. On est puni par où l'on pêche : Un jeune homme s'est noyé il y a un an l'automne dernier plus que probablement ivre : Deus non irridetur. Et la pauvreté arrive dans les familles coupables, au point qu'il faut quitter la côte si ça ne change. Que ne s'humilie-t-on sous la main qui frappe et que ne le reconnaît on pas ? Celui qui ne veut pas la mort du pêcheur mais qu'il se convertisse, ramènerait bien encore sans peine les années d'abondance.

''Malgré le côté sombre de cette peinture, je ne voudrais cependant donner à Votre Grandeur qu'une idée réelle et vraie. Je dois dire que le véritable désordre est rare et même très-rare ; mais il me semble qu'il n'en reste pas moins vrai que le bras vengeur de Dieu ne tolère plus et qu'il n'attend point l'éternité pour frapper de grands et de terribles coups.

''Ce qui console, c'est que sur trente missions que j'ai faites et qu'il faut faire, le nombre de faits répréhensibles soit aussi petit et qu'encore [p.27] le désordre n'y soit point irrémédiable. Un malheur, peut-être, pour ces localités c'est de changer souvent de missionnaire. On m'en a fait la remarque et je la crois vraie. La persévérance et l'énergie, Dieu aidant, devraient amener et amèneraient d'heureux changements là où ils sont nécessaires. C'est presque demander à Votre Grandeur, Monseigneur, me voici. Mais je ne puis vous cacher que pour produire ces heureux effets il faudrait un prêtre saint et capable. En attendant qu'il le devienne, que Votre Grandeur, tout en priant pour le peuple, n'oublie pas au très-saint sacrifice le missionnaire actuel. Que n'a-t-il du courage et du zèle pour sa sanctification propre et pour celle de son peuple ! Je prie Votre Grandeur de l'obtenir du bon Dieu pour lui et j'ai la confiance que la très-Sainte Vierge, maintenant ma seule mère sur cette terre, ne m'abandonnera pas non plus.

''A Nataskouan, il y a actuellement 30 familles, toutes catholiques. Réellement, Monseigneur, je ne sais quels reproches on pourrait adresser à ces chrétiens. Tout le monde approche du tribunal de la Pénitence et du sacrement d'Eucharistie, à toutes les grandes fêtes ; chaque fois qu'on part pour un voyage, on se fait un devoir de venir se confesser et au retour pareillement. On a très grand zèle pour rehausser toutes les fêtes solennelles par des décorations, et on ne recule pas non plus, bien loin de là, devant les sacrifices qu'il faut faire pour rendre la position du missionnaire douce et agréable. En un mot, Monseigneur, je suis complètement heureux au milieu d'eux et vous prie de demander au bon [p.28] Dieu d'agréer mes faibles talents, et de ne me donner jamais de peuple difficile à gouverner. Les efforts de M. Fournier et de M. Perron, leur travaux et leur vigilance ont été couronnés de succès. Plût au ciel que je pusse les suivre, même de loin, dans ce qu'ils ont tous les deux déployé de zèle pour le salut des âmes et la gloire de Dieu.

''On pourrait presque croire, d'après ce tableau, qu'il n'y a plus de nature humaine à Nataskouan et que tout y est sur le pied de la Jérusalem céleste. Loin de là, cependant Monseigneur, je crois que la nature humaine y est toute entière avec toutes ses faiblesses et ses misères. Mais jusqu'à présent on a su employer les remèdes nécessaires pour en combattre les mauvais penchants : la prière et les sacrements ; et voilà comment on est plus en état de soutenir la lutte. On fait le mois de Marie, la neuvaine à Saint François-Xavier, et on assiste aux prières du carême avec une grande assiduité. On laisse même son ouvrage de côté et on finit la journée un peu plus à bonne heure pour se réunir à la chapelle et y prier Dieu en famille. Aussi, Monseigneur, à ces trois époques-là, je me suis imposé le devoir de faire des lectures de piété et des instructions tous les jours. Réellement, j'aurais craint de les fatiguer et avec raison, si ce n'était presque à leur demande que j'ai agi ainsi.

''A dix lieues plus bas est le poste le plus voisin d'ici. Il y a 13 familles, toutes acadiennes moins deux. A cette place, on n'a point de chapelle, et il faut dire, je crois, que c'est un peu manque de bonne volonté. Car on a l'avantage d'en avoir une toute bâtie à 24 lieues plus bas ; il ne s'agit que la transporter. M. Fournier, après [p.29] avoir obtenu de Mgr. l'Archevêque la permission de déplacer cette chapelle qui ne sert plus où elle est, a fait ce qu'il a pu sans réussir. On parle d'aller la chercher ce printemps. Espérons-le ; le missionnaire n'y peut être que quelques jours à chacune des quatre missions qu'on y donne, en allant et revenant.

''Quant aux autres missions, Monseigneur, elles ne se composent, pour la plupart, que d'un petit nombre de familles, le plus souvent d'une seule. Il m'est impossible pour le moment, vu déjà la longueur de cette lettre qui n'en est plus une, d'entrer dans les détails. Les remarques générales que j'ai faites au commencement, s'appliquent à tous ces lieux.

''Reste Blanc-Sablon et Pied-Noir, le 1er diocèse de Rimouski, le 2nd du diocèse de Harbour-Grace. A Blanc-Sablon, il y a une chapelle avec un autel, malheureusement mal placée, à peine peut-elle servir 3 ou 4 familles sur 12 ou 15 qu'il y a, la difficulté des communications étant la raison de cet inconvénient. On ne peut y aller qu'une seule fois par année : c'est au moins à cent lieues d'ici : en hiver, impossible d'y aller ; en été, c'est en temps de la pêche. Je crois qu'un prêtre à Pied-Noir 10 lieues plus bas, qui est la place unique où le prêtre peut et doit résider, fera du bien à Blanc-Sablon aussi.

''Monseigneur, il m'est impossible de terminer dans cette lettre, les renseignements que j'ai commencé à vous donner. Des voyages auxquels je ne m'attendais pas du tout ; des fatigues et des inquiétudes qui me font désirer plus qu'ardemment ma solitude du Labrador m'ont mis et me mettent dans l'impossibilité d'en dire plus long en ce moment.

[p.30] ''Je vous demande votre bénédiction pour moi et pour tout mon peuple. Avec le plus profond respect.

''Monseigneur,
''Votre missionnaire dévoué,
''J. Julien Auger [1], Ptre.,
 ''Missionnaire''


[1] AUGER, Joseph-Julien, né le 6 octobre 1838 à Lotbinière, fils de Philippe Auger et de Marguerite Beaudet ; ordonné à Québec le 24 septembre 1864 ; vicaire à Saint-Français de la Beauce ; 1865, missionnaire de Nataskouan, côte du Labrador.