Collectif.
Rapport sur les missions du Diocèse de Québec et autres missions
qui en ont ci-devant fait partie, vol. 15, Québec, Ateliers
Léger Brousseau, mars 1863, 92 p. Disponible
en ligne : http://books.google.ca/books?id=_ypOAAAAYAAJ&source=gbs_book_other_versions,
consulté le 30 octobre 2012.
p.61
MISSION DE NATASKOUAN.
Notre-Dame de Nataskouan, le 9 octobre 1861.
Monseigneur,
Je suis heureux d'être arrivé au moment de pouvoir entretenir Votre
Grandeur, des missions qu'elle a confiées à mes soins le printemps
dernier. Le dix-neuf mai [1861], jour de la Pentecôte, je laissais
Berthier sur la goëlette du capitaine Narcisse Blais, pour me rendre au
lieu de ma nouvelle résidence. J'y arrivai le trente mai au soir, après
une navigation heureuse et j'y fus reçu avec de grandes démonstrations
de joie, de la part de toutes les familles qui composent cette petite
colonie. Leur joie fut à son comble, lorsque je leur annonçai que
j'étais venu fixer ma demeure au milieu d'elles, et que désormais
Nataskouan serait toujours la résidence d'un prêtre.
J'employai les deux jours suivants à nettoyer et à préparer la
chapelle, pour y célébrer la sainte messe avec toute la pompe qu'il est
possible d'étaler dans ces pauvres contrées ; et grâce à vos dons,
monseigneur, joints à ceux de plusieurs personnes charitables de Québec,
ma chapelle qui n'est pas encore terminée, se trouve pourvue avec un
certain luxe (pour une mission) de toutes les choses nécessaires au
culte : la cloche fait entendre, au loin, sa voix joyeuse et sonore, un
beau chemin de croix orne l'intérieur de la chapelle, de magnifiques
ornements et parements d'autel, de jolis bouquets donnent un certain
éclat [p.62] à nos cérémonies religieuses. Pendant le
mois de juin, j'avais chaque dimanche jusqu'à huit chantres et une
population de cinq à six cents étrangers, Canadiens et Acadiens ;
maintenant je n'ai qu'une couple de chantres, peu instruits des chants
d'église, et une centaine de personnes dans ma chapelle.
Après avoir donné les exercices de la mission pendant deux jours aux
habitants de Nataskouan, je m'occupai de la construction du presbytère.
Une partie des matériaux nécessaires à la charpente était encore dans la
forêt. Il m'a fallu choisir certains jours, où les gens étaient
empêchés par le gros vent de sortir à la pêche, pour aller couper le
reste du bois. Sitôt que les matériaux furent sur la place, les
habitants convinrent entre eux de fournir toute la planche nécessaire.
Vu leur pauvreté, ils ne sont point en état de payer le coût de
l'ouvrage, car depuis deux ans leur chasse et leur pêche ont été bien
médiocres ; aussi la plupart d'entre eux doivent des sommes
considérables à certains marchands. J'ai fait entreprendre l'ouvrage à
mon compte, moyennant la somme de quarante-trois louis ; de cette somme,
j'ai donné trente-louis à mon ouvrier, et, l'année prochaine, je compte
sur une bonne chasse ou une bonne pêche pour m'aider à payer le reste.
L'ouvrier a encore pour un mois à travailler aux boiseries de
l'intérieur ; cependant je me propose d'habiter le presbytère dans
quelques jours, et, à l'exemple de M. Ternet, je n'aurai personne pour
m'y distraire, j'y serai maître et serviteur. Durant le mois de juin, je
suis allé voir mon voisin, monsieur Ternet, le vrai modèle des
missionnaires ; il vit à la manière des solitaires de la primitive
église, heureux et content de pouvoir [p.63] travailler à la gloire de Dieu dans une pauvre mission.
A mon retour de la Pointe-aux-Esquimaux, j'ai donné la mission à
trois postes, renfermant chacun une famille, et dont le plus éloigné Pachachibou,
est à huit lieues de Nataskouan. Une ignorance incroyable, une
indifférence désolante et l'ivrognerie avec ses suites accoutumées
règnent dans un grand nombre de ces pauvres missions. A Nataskouan le
démon de l'ivrognerie et de la discorde a créé des haines et des
inimitiés qui persévèrent encore aujourd'hui : aussi Dieu a châtié
visiblement ces pauvres gens. L'hiver dernier, un marchand de boisson,
qui tenait journellement son magasin ouvert, fut la cause de tout le
mal, car on venait des postes voisin passer des semaines entières à
boire et à se battre. Depuis mon arrivée, sur l'invitation d'un grand
nombre d'habitants, le marchand a laissé la place. Tout
est maintenant tranquille, et j'ai à me réjouir de la docilité de ce
petit peuple ; la plupart d'entre eux assistent régulièrement à la messe
chaque matin. La population de Nataskouan est de vingt-une [sic]
familles ; quatre autres nouvelles familles sont attendues au printemps.
Si j'ai le bonheur d'avoir une école cet automne, comme je l'espère,
elle sera fréquentée par vingt enfants de huit à treize ans.
J'ai
laissé ma résidence le seize juillet, pour donner la mission aux postes
situés entre Nataskouan et Blanc-Sablon : je suis demeuré deux ou trois
jours dans chaque endroit, selon que le devoir de mon ministère le
demandait. J'ai rencontré de bons et mauvais chrétiens. Le prêtre, en
passant deux ou trois jours par année, au milieu de ces familles isolées
ne peut faire tout le bien [p.64] qu'il désire : aussi, il est beaucoup
de misères et de désordres sur lesquels il se voit forcé de gémir, sans
pouvoir y porter remède. Ce sont là les peines du missionnaire, car
l'isolement et les incommodités du voyage sont choses légères, lorsque
Dieu est aimé et glorifié.
Blanc-Sablon est pendant la saison de la pêche, le rendez-vous d'une
multitude de pêcheurs de toutes les nations et de toutes les croyances ;
aussi il éprouve largement le désavantage d'un si grand concours
d'étrangers. Comme à la Baie-des-Moutons, j'ai rencontré là des enfants de quatorze et même dix-sept ans, que je n'ai pu préparer à faire leur première communion.
Le trois septembre, j'avais terminé les exercices de la mission, à la
chapelle de l'Anse-des-Dunes, et j'attendais le bon vent pour m'en
aller dans ma berge, de poste en poste ; mais on me dit, que dis-sept
familles irlandaises, de la Baie-Noire, où de Pied-Noir, à dix lieues
plus bas, étaient déjà venues à Blanc-Sablon deux fois, pour prier le
missionnaire de se rendre chez elles ; car depuis quatre ans, elles
n'avaient point eu la visite des prêtres. Je n'avais aucune raison de
refuser ces bons catholiques, d'après les instructions que j'avais
reçues de Votre Grandeur ; le cinq septembre, je pris passage sur le brick Nameless,
que le capitaine Seeleur, agent de Monsieur de Quetteville, me fit
offrir. Le bon vent nous conduisit jusque dans la baie de Forteau :
la`je rencontrai une goëlette, portant une dizaine de familles
irlandaises, se rendant pour la troisième fois à Blanc-Sablon. Il me
restait encore cinq lieues à faire ; je laissai le brick jersiais et
m'embarquai sur la goëlette, qui rebroussa chemin aussitôt. Je passai
cinq jours, chez ces braves gens, pendant lesquels j'ai confessé [p.65]
67 personnes, baptisé huit enfants, et béni quatre mariages. Je ne pus,
néanmoins, à cause du mauvais temps, porter les secours de la religion à
deux personnes malades, qui désiraient ardemment se confesser. Le onze,
je m'embarquai à la hâte, sur la goëlette du capitaine Lamarre, faisant
voile pour Québec. Le douze, une jolie tempête nous força de jeûner une
journée et une nuit.
Le seize septembre, au lever du soleil, je débarquais sur le rivage
de la Pointe-aux-Esquimaux et je rencontrais monsieur Ternet revenant de
la rivière Moisie. Je passai la semaine avec mon confrère, et je pus me
rendre à Nataskouan le dimanche matin, vingt-deux septembre.
Comme
la saison de la pêche est maintenant finie, je puis faire
travailler les habitants à la maison d'école, à l'église et au
défrichement des environs de l'église et du presbytère ; et je vous
assure qu'en tout cela, je ne manque pas de tracasseries ; car, pour
prévenir tout différent, je suis obligé d'être continuellement avec eux.
Je fais faire à l'église un solage, un perron et une cheminée en terre.
Le clocher et la couverture de l'église font de nombreuses voies d'eau ;
j'ai fait étancher la couverture, et nous sommes maintenant à l'ouvrage
dans le clocher. Je me propose de bâtir une petite sacristie l'année
prochaine.
La
semaine dernière j'ai donné une seconde fois la mission à Kégasca ; il y
a en cet endroit treize familles ; une chapelle serait nécessaire.
Comme le bois est très-rare en cet endroit, je suggérerais à Votre
Grandeur de permettre aux habitants de Kégasca de transporter chez eux
la chapelle d'Itamamiou, qui est inutile, puisqu'elle ne sert qu'à une
seule famille. J'ai payé trente louis pour le presbytère, seize louis
pour une berge, [p.66] et huit louis à mon pilote. J'ai cru faire une
économie en achetant une berge. J'espère voir M. Ternet, encore une
fois, avant les neiges. J'écrirai à Votre Grandeur une seconde fois cet
hiver. La maîtresse d'école est arrivée depuis trois jours.
Je serai heureux, si dans ces pauvres missions je pus plaire à Dieu,
en travaillant au salut des autres. Souvenez-vous dans vos prières,
monseigneur, des pauvres fidèles de mes missions, ainsi que de leur
missionnaire, qui sera toujours votre fils dévoué et obéissant,
F.M. Fournier, Ptre