1857 - Rapport sur les missions du Diocèse de Québec - Volume 12



Collectif. Rapport sur les missions du Diocèse de Québec et autres missions qui en ont ci-devant fait partie, vol. 12, Québec, Ateliers J. T. Brousseau, avril 1857, 108 p. Disponible en ligne : http://books.google.ca/books?id=AFpNAAAAYAAJ&source=gbs_book_other_versions, consulté le 15 octobre 2012.

p.46

[Lettre de J.H. Pinet, ptre, O.M.I. à un destinataire inconnu]

St. Roch de Québec, le 21 novembre 1855.
Mon Révérend Père,

Il y a maintenant deux mois que je suis de retour de ma mission sur la côte du Labrador. Il est grand temps que je vous rende compte de ma première excursion dans ces parages ; mais avant tout, permettez-moi de vous témoigner ma bien vive reconnaissance de la bonté que vous avez eue de m'envoyer à ces pauvres âmes, si dénuées de secours spirituels, vu leur éloignement des grands centres. Que je suis heureux, me disais-je dès mon noviciat, s'il plaisait au bon Dieu de m'envoyer travailler dans cette partie de sa vigne ! Quelle ne fut donc pas ma joie lorsqu'on m'apprit d'abord, il y a trois ans, que cette mission, qui faisait autrefois partie du diocèse de Terreneuve, venait d'être annexée à l'archidiocèse de Québec ! Plus tard quand elle fut offerte à notre congrégation comme un nouveau champ à parcourir, j'avais l'intime conviction que je serais chargé de l'évangéliser. Plusieurs fois rebuté dans mes demandes à cet effet, je mis le bon St. Joseph dans mes intérêts. Ma cause fut si bien plaidée que l'hiver dernier, l'avant dernier jour du mois qui est consacré à honorer ce grand saint, je reçus mon obédience.

Je partis de Québec, le 4 juin dernier, sur le Doris, qui allait à Belle-Isle. Après avoir touché à divers postes nous arrivâmes à l'extrémité Est de notre mission, le 22 du même mois, mais après une navigation pénible. Nous avions eu cependant, le 4e jour après notre départ, qui était le jeudi [p.47] de la Fête-Dieu, la consolation de célébrer la sainte messe au cap des Rosiers, dans une jolie petite chapelle d'une des missions de M. Fafard.

Immédiatement après la messe, nous reprîmes la mer et arrivâmes le soir du même jour dans une vaste baie qui avoisine l'Ouest de l'Ile d'Anticosti. Un gros vent d'Est nous y retint deux jours. La divine providence avait ses desseins dans ce contretemps apparent qu'elle nous envoyait.

J'appris là, par quelques-uns des hommes de l'équipage, que le propriétaire de la maison qui se trouve dans cette baie avait fini ses jours quelques mois auparavant d'une manière bien tragique, et que ses deux fils, qui gardent maintenant ce poste, n'avaient pas encore été baptisés. Il n'y avait pas à en douter : Dieu m'avait conduit dans ces lieux pour travailler à amener dans le bercail ces deux orphelins. Sur ma demande, une chaloupe est descendue à la mer, et dans un clin-d'oeil nous touchions le rivage dont notre vaisseau restait éloigné de trois milles. Je fus très-bien accueilli en sortant de mon embarcation par le plus vieux de ces deux garçons, âgé de 30 ans, qui était venu à ma rencontre et qui d'abord ne me reconnut pas ; car j'avais à dessein relevé ma soutane. Aussitôt arrivé je renvoyai la chaloupe qui ne devait revenir me chercher que le soir. En entrant dans l maison je passai d'abord par un appartement qu'on aurait dit un arsenal. Des armes de toutes espèces y étaient suspendues.

Le jeune homme m'ayant reconnu là, disparut. Je ne pus alors me défendre d'une certaine crainte, me voyant seul dans ces mêmes appartements où s'étaient passées tant de scènes tragiques ; mais la pluie qui tombait par torrents forçant bientôt mes deux farouches insulaires à s'abriter, je pus aborder la question et parler à mes hôtes qui m'amenait auprès d'eux. Je m'adressai d'abord au plus jeune qui montra bientôt une excellente volonté d'être instruit. Il [p.48] fut d'abord singulièrement frappé de l'exposé des vérités de la religion que je lui faisais connaître, et dont il était complètement ignorant auparavant. Il n'en fut pas de même du plus âgé. Il refusait formellement de m'entendre ; mais comme plus il se montrait obstiné, plus le bon Dieu me donnait de zèle pour son âme, je fis usage de tout ce que la charité peut inspirer en pareille circonstance. Pressé par mes instances et bien plus par la grâce : ''Je suis trop pervers pour me confesser,'' me dit-il. Je fus tellement impressionné par le souvenir de la mort de son père, que je me jetai à son cou, le conjurant au nom du Dieu qui lui parlait de ne pas résister plus longtemps à la grâce. Il tombe alors à genoux et fait la confession de toute sa vie avec les sentiments d'une véritable componction. Après sa confession il n'était plus le même homme et n'aurait plus voulut me quitter. N'ayant pas assez de temps pour instruire à fond ces bons jeunes gens, je leur fis promettre de monter à Québec à cet effet pour s'y disposer à faire leur première communion. J'ai déjà la consolation qu'ils ont tenu parole. Ils sont arrivés à Québec, où ils passeront tout l'hiver. Vous pouvez bien penser, mon R.P., que je retournai à mon embarcation le coeur rempli de joie. Nous pûmes continuer notre route.

Dans la nuit du 19 le vent s'était calmé ; mais ce calme ne fut pas de longue durée. Nous étions près des côtes de Terreneuve, quand une tempête de vent d'Est, accompagnée d'une brume épaisse, nous força de mettre à la cape. Au froid que nous ressentions, le capitaine Davidson, marin d'une prudence remarquable, se crut dans le voisinage d'un de ces bancs de glace dont cette mer est couverte une bonne partie de l'été. Pour ralentir la marche du bâtiment il fit arrêter la vapeur et ferler presque toutes les voiles. Les craintes du capitaine n'étaient que trop fondées. À deux heures du matin un choc terrible nous éveilla tous en sursaut ; on n'entend plus que ce [p.49] cri sur le pont : ''Vite, sur le pont.'' Inutile de vous dire que l'alarme était à son comble ; en un instant tout le monde, équipage et passagers, se trouvent également sur le pont. La panique était telle qu'on se regardait sans pouvoir d'abord proférer une seule parole. ''C'est une glace,'' cria le capitaine ; ''mais rassurez-vous et remercions le bon Dieu.'' Cependant le choc avait été si terrible que le taille-mer fut arraché et deux planches du bordage furent enfoncées. ''Nous étions coulés à fond,'' nous dit le capitaine, ''si la vapeur eut été en action.'' Le vent qui s'était bien appaisé [sic] nous permit de fermer la voie d'eau, qui ne s'était faire heureusement qu'à la surface de la ligne de flottaison. Nous arrivâmes le jour même à Blanc-Sablon, quoique à travers des montagnes de glaces. Jugez de l'effet que l'aspect de ces montagnes d'une autre espèce pouvait produire sur nos imaginations. En plein juillet, on nous montrait une qui était échouée et que l'on disait à une profondeur de plus de 200 pieds dans l'eau.

Notre traversée, qui fut passablement longue, comme vous voyez, me permit de réfléchir à mon aise sur l'objet important de ma mission. Que de pensées diverses se pressaient dans mon esprit ! Pour la première fois j'étais envoyé dans ces sortes de missions. Aussi tantôt il me semblait apercevoir des âmes endurcies repousser avec mépris les grâces divines et tantôt j'en voyais d'autres, et en plus grand nombre, se reconcilier [sic] avec Dieu. ''Que de bien à faire,'' me disais-je, ''sur cette côte qui, habitée depuis plus d'un siècle n'a eu encore que six fois la visite du missionnaire ! Que de pêcheurs à réconcilier avec Dieu ! Que de jeunes gens à instruire, et d'enfants à baptiser !'' Je voyais déjà une foule de chrétiens accusant et détestant leurs péchés, et cela par la vertu du ministère que Dieu m'a confié. Nous venions de mettre le pied à terre sur l'endroit le plus important de toute la côte. Je me mis aussitôt à visiter des planteurs de la localité. J'ouvris dès [p.50] le lendemain les exercices d'une mission, qui dura trois semaines et qui fut fréquentée par au-delà de 150 personnes. La plus grande partie était composée des étrangers venus là pour la pêche à la morue. Plusieurs, il est vrai, refusèrent opiniatrement [sic] d'assister aux exercices ; mais ceux-là n'étaient pas canadiens ; car il faut le dire à la louange de nos compatriotes, les négligents parmi eux ne résistent pas longtemps aux invitations du prêtre, pour lequel ils ont le plus grand respect. Aussi, à force de sollicitations et de visites, j'eus la consolation de les voir tous s'approcher du tribunal de la pénitence. Selon notre usage, nous voulions laisser un monument de la mission. Le dernier jour, qui était un dimanche, nous élevâmes une grande croix sur un mont dominant le vaste port de Blanc-Sablon, dans lequel viennent mouiller tous les ans des centaines de vaisseaux de presque toutes les nations. Quoique nous n'ayons pas pu donner à cette cérémonie toute la pompe que nous aurions souhaitée, elle n'a pas laissé d'être fort touchante. Oh oui, mon père, elle fut vive l'émotion des assistants ; c'était la première fois qu'on voyait arboré sur ce sol déshérité le signe de notre rédemption. Le temps, qui est dans ces parages presque toujours pluvieux et chargé de brouillards, fut dans ce moment magnifique. La nature semblait prendre part à la joie générale. Pour compléter cette cérémonie nous donnâmes, dans les deux langues, une instruction adaptée à la circonstance. Après avoir mis cette mission sous la protection de St. Martin, nous descendîmes tous joyeux de notre montagne.

Le lendemain, monté sur une berge, moyen unique en été de communiquer ici d'un poste à l'autre, je me rendis au poste voisin. Ce fut en berge aussi que je visitai tous les autres postes qui se trouvent sur un littoral d'environ 125 lieues, et je puis dire que dans toutes ces visites j'ai reçu de tout le monde, anglais, irlandais et canadiens, toutes les politesses possibles ; catholiques [p.51] et protestants, tous m'ont traité avec cette aimable hospitalité qu'on trouve encore si communément en Canada chez nos braves habitants. Qui voit un des planteurs de ces parages voit tous les autres. Ce sont, à peu d'exceptions près, les mêmes habitudes, on dirait que c'est la même famille. Dans beaucoupde circonstances ici les biens sont en commun. Quelqu'un se trouve-t-il au bout de ses provision, celles de son voisin sont à son usage ; ou bien il s'assiera [sic] et sa famille avec lui à la table de ce voisin, pendant trois ou quatre mois, jusqu'à ce que la providence vienne à son secours. Lorsque quelque planteur est obligé de quitter sa maison, emmenant même avec lui sa famille, les portes de la maison n'en restent pas moins ouvertes ; et on a le soin alors de placer les provisions qui restent à l'endroit le plus patent de la maison, pour que les voyageurs puissent les trouver plus facilement. Quelques fois, comme je l'ai vu moi-même, on notera sur une ardoise ou sur une cloison, avec du blanc d'Espagne, le lieu où se trouvent ces mêmes provisions. Un jour que j'arrivai dans une de ces maisons en l'absence du maître, nous trouvâmes, au moyen de cette indication, tout ce dont nous avions besoin, et l'un de nous, s'étant permis d'ouvrir un coffre, y aperçut une bourse qui contenait une somme assez considérable.

Voilà comment ces braves gens entendent les devoirs de l'hospitalité. On serait porté à croire, il est vrai, que l'état d'abandon dans lequel se trouve cette population ainsi disséminée et l'éloignement où elle est des secours religieux occasionneraient de grands maux. Eh bien ! si l'on rencontre dans certaines localités quelques désordres, en général les chrétiens sont meilleurs ici que la plupart de ceux qui, ailleurs, vivent dans l'abondance de tous les biens spirituels. Le vice qui fait le plus de ravages sur ces plages lointaines, c'est l'ivrognerie. Faites disparaître ce vice infâme et vous aurez une population éminemment chrétienne. Depuis quelques temps, [p.52] grâces aux efforts des missionnaires qui m'ont précédé et principalement de l'un d'eux, le digne curé de Berthier[1], l'usage de boissons fortes a bien diminué. Sans les américains et sans les traiteurs canadiens canadiens, qui font un don simulé de ces boissons pour mieux réussir dans leur commerce avec les planteurs, ce serait un vrai plaisir de se trouver au milieu de ces braves gens ; mais la vengeance divine poursuit ces grands coupables, dont plusieurs  dans ces derniers temps ont éprouvé des pertes considérables. Ils ont eux-mêmes attribué ces maux au débit des boissons fortes, qu'ils donnent ou vendent en dépit de nos défenses. Comme vous le voyez, ici comme ailleurs, s'il y a des roses, elles ont aussi leurs épines.

Je n'ai pas besoin de vous dire, mon R.P., que sur ce vaste territoire on rencontre un bon nombre de nos frères séparés. Malgré mon désir de les visiter tous aussi bien que les catholiques, le temps ne me le permettrait pas. Un jour, cependant, je me disposais à m'acheminer vers un poste voisin. ''Sont-ce des catholiques qui habitent ce poste ?'' demandai-je à quelques-uns de ceux qui m'entouraient.-Oui! mon père, disaient les uns.-Non ! disaient les autres : les missionnaires ne s'y sont jamais arrêtés.-''Pourtant,'' me dit quelqu'un : ''les protestants n'ont pas de statues de la Ste. Vierge et ceux-ci en ont une.'' Il ne m'en fallut pas davantage. J'embarque et bientôt nous sommes rendus. J'abordais auprès d'une famille anglaise fort à l'aise, composée d'une douzaine de personnes. Dans la cuisine, où j'entrai d'abord avec mon guide, se trouvait une jeune personne, laquelle, après avoir jeté sur moi un coup-d'oeil de surprise, disparut sans me donner le temps de la saluer. Elle était si troublée qu'elle ne nous offrait même à nous asseoir. La voyant disparaître : ''Pardon, mon père,'' me dit mon compagnon ; ''vous voyez bien qu'ils sont protestants.'' La demoiselle revint presque aussitôt, mais sans [p.53] dire un seul mot. Elle avait été auprès de samère : '' Venez voir, maman,'' lui dit-elle ''quelqu'un comme nous n'en avons encore jamais vu. Il a une robe qui descend jusqu'à terre.'' Or la mère qui n'avait vu de prêtre qu'à Boston, où les ecclésiastiques ne portent point la soutane, et qui était aussi timide que sa fille, ne bougeait pas. J'étais un peu mal à mon aise : je voulus cependant m'assurer et m'adressant à la jeune personne, je lui demandai si je pouvais voir sa mère. Sans me répondre, elle vole auprès d'elle et revient aussitôt. ''Entrez, monsieur,'' me dit-elle alors ; ''maman vous attend.'' Je trouvai la mère au milieu de ses petits enfants. Cette dame était une personne bien élevée. Elle parut cependant fort embarrassée. ''Je vous pardon, madame, je suis un missionnaire : je désire faire connaissance avec tous les habitants de la côte, et surtout avec les catholiques qui me sont confiés.'' ''Seriez-vous donc un prêtre ?'' Sur ma réponse affirmative, elle demeura presque interdite et me fit mille excuses. ''Je suis catholique,'' me dit-elle ; ''mais il y a 16 ans que je n'ai pas eu le bonheur de voir un prêtre.'' ''Et vos enfants?'' ''Ils sont aussi catholiques ; mais mon mari est protestant et j'ignore quelles sont ses dispositions par rapport à ses enfants : il ne m'a pas cependant empêché de les instruire des vérités de notre sainte religion.'' Quelques questions suffirent pour me convaincre du zèle de cette bonne dame sur ce point et de la docilité des enfants. Je n'eus donc pas beaucoup de difficulté à semer moi-même dans un champ si bien préparé. Tout en donnant quelques explications sur les principales vérités de la religion, mais principalement sur le mystère de la rédemption, je m'aperçus que l'aînée, qui me paraissait un ange de piété, versait d'abondantes larmes. J'en demandai la raison à sa mère : ''C'est la joie qu'elle éprouve,'' me dit-elle, ''d'entendre pour la première fois parler de Dieu par un de ses ministres.'' Vers midi, le chef de la famille [p.54] arriva ; il revenait de la pêche avec son équipage. Ma présence parut lui faire plaisir. Après le dîner, me trouvant seul avec lui, je lui fis connaître l'objet de ma visite. Il passa alors dans une chambre voisine, où était sa femme, et revint bientôt m'annoncer que sa famille était à ma disposition. Je baptisai les cinq enfants plus jeunes et fis faire la première communion à l'aînée après l'avoir baptisée. Depuis que j'exerce le saint ministère je n'ai jamais rencontré de dispositions aussi belles que celles qu'apporta cette jeune personne à cette grande action.

Lorsque je pris congé de cette excellente famille, la dame eut la bonté de me prévenir que le poste voisin était habité par son beau-frère, qui lui aussi était protestant, mais dont l'épouse avait été élevée aussi dans la religion catholiques. ''Ses quatre enfants,'' me dit-elle, ''n'ont point encore été baptisés.'' Je me rendis donc à ce nouveau poste. J'y eus à peu près la même réception et j'obtins les mêmes résultats. Je baptisai les quatre enfants, dont l'aîné âgé de quinze ans eut le bonheur de recevoir la sainte communion. J'ai tout lieu d'espérer de recevoir, l'an prochain, l'abjuration des deux chers de ces respectables familles. Un peu plus loin, je m'arrêtai pour donner les exercices d'une mission à quelques planteurs. Là je rencontrai aussi quelques Esquimaux, qui avaient été instruits et baptisés par feu Des Ruisseaux. Ces bonnes gens savaient bien la langue anglaise et pouvaient aussi lire dans cette langue. Ces Esquimaux descendent cependant de parents qui avaient été instruits par les frères Moraves : Aussi l'un d'eux, qui avait apostasié, tout fier de lire une bible qu'un américain lui avait donnée, refusa d'abord d'assister à la mission. Un jour cependant, je me décide à lui parler : il avait alors sa bible en main.-Que lis-tu là, lui dis-je ?-La Bible, monsieur.-Donne un peu que je regarde... elle n'est pas bonne ta bible, lui dis-je.-Oui, elle est bonne, me répliqua-t-il ; [p.55] c'est la parole de Dieu.-Non, répliquai-je à mon tour en lui présentant une autre bible traduite en anglais : la voici la parole de Dieu.-Mais est-ce qu'il peut y avoir plusieurs bibles ?-Non, certainement, il ne peut y en avoir qu'une et c'est celle que je te présente. Pour t'en convaincre je vais te montrer les divers passages que les protestants ont changés ou retranchés dans la tienne.....Tiens vois ; ils ont aussi fait disparaître un livre qu'on appelle le livre des Machabées, parce qu'il condamne leurs erreurs, etc., etc.-Il parut alors tout mystifié ; et quelques explications suffirent pour le ramener à la vérité. Il me remit sa bible de bon coeur, se confessa tout comme les autres ; et dès ce moment il assista régulièrement aux exercices de la mission.

Cette nouvelle mission terminée, j'appris que dans l'autre poste où je devais me rendre et où étaient un nombre considérable de familles toutes canadiennes, le démon de la discorde avait divisé les esprits, au point que l'année dernière un certain nombre d'entre eux n'avaient point été à confesse à la mission, et que d'autres n'avaient pas même voulu assister aux exercices. On me dit également que si cette année les exercices étaient donnés dans le lieu ordinaire, les deux tiers de la population n'y assisteraient pas. Ce lieu cependant était le plus central, et il y avait là la maison la plus commode de tout le poste. Malgré ces craintes, c'est vers cette maison que je me dirigeais ; mais comme pour y arriver il me fallait passer devant deux autres, j'y arrêtai, pour connaître les dispositions de leurs habitants. Ce qu'on m'avait dit n'était que trop vrai. ''Nous n'irons pas à la mission et personne n'y ira, si c'est là que vous en faites les exercices,'' me dirent encore ceux-ci avec humeur. Je dus, moi, le prendre sur un tout autre ton. Tout en prenant quelques effets, je quittai ma berge et me rendis avec une autre embarcation au lieu ordinaire. Les ménagements que je tâchai cependant [p.56] d'avoir pour leur faiblesse, et il faut le croire, les bonnes raisons que je leur donnais décidèrent enfin ces bonnes gens à me suivre. Cette famille une fois rendue, tout le monde fut bientôt réuni, et cette mission fut celle où la grâce de Dieu se manifesta de la manière la plus sensible. Les réconciliations se firent avec tant de sincérité et les autres dispositions furent telles que tous eurent le bonheur d'accomplir leur devoir pascal. J'ai goûté là la plus grande consolation que j'aie jamais goûté en aucune circonstance de ma vie. Je puis cependant dire que si mon coeur surabondait de joie à la vue du changement opéré dans un grand nombre de ces braves gens, cette joie était bien tempérée en les quittant, par la pensée qu'ils allaient être laissés sans secours religieux pendant l'espace d'une année. ''Mon père, mon père,'' me disaient-ils tous, '' vous reviendrez n'est-ce pas ? Ne nous abandonnez pas, nous vous en prions.'' Aussi c'est de grand coeur que je leur en faisais la promesse. Plaise à Dieu de me donner la santé et surtout la sainteté dont j'ai besoin, pour arrêter les vices que le défaut de secours religieux avait implantés dans ces parages, et pour les déraciner enfin avec le temps !

Le total de la population catholique de cette mission est d'environ cinq cents âmes, y compris une centaine de jeunes gens occupés à la pêche de la morue, du saumon et des harengs, et à prendre les loups-marins. Dans la partie Est, la pêche est l'unique ressource. Dans l'Ouest, outre la pêche qui y est assez abondante, la chasse aux bêtes fauves est souvent d'un grand secours.

J'ai administré le baptême à une quarantaine de personnes, dont un quart sont adultes. J'ai fait faire la première communion à vingt-cinq personnes, béni cinq mariages, reçu deux abjurations, avec l'espoir d'en recevoir un plus grand nombre l'an prochain.

Je ne dois pas oublier de dire, mon Révérend Père, qu'il n'y as encore que deux chapelles sur ce vaste littoral : l'une à l'extrémité ouest, bâtie [p.57] par le Rév. Père Durocher, pour l'usage des Canadiens et des Sauvages de la tribu des Montagnais ; l'autre, au centre de ma mission, bâtie par les soins de M. le grand-vicaire Bellenger, prêtre canadien, attaché depuis quelques années au diocèse de Terreneuve. Ce digne prêtre, pendant trois ans, a visité ce peuple, l'évangélisant avec un zèle extraordinaire et au prix de bien des misères et de bien des privations, quoiqu'il fût alors d'un âge avancé ; aussi possède-t-il ici le respect et l'affection de tous. Il faudrait encore au moins une troisième chapelle, que l'on construirait à l'extrémité Est. On pourrait bien, je pense, prélever pour cet objet, une certaine somme sur les planteurs de la place, d'ailleurs peu favorisés de la fortune ; mais il en coûte tant, si loin des centres de la civilisation, pour les matériaux et pour les ouvriers, que sans le secours de la Propagation de la foi la chose serait bien difficile, pour ne pas dire impossible.

Je termine, mon Révérend Père, en me recommandant à vos prières ainsi que ma mission.

Votre fils affectionné,

(Signé,) J.H. Pinet, Ptre.,
O.M.I.

[1] Curé de Berthier ?

                                      

p.57

Lettre du Révérend Père Arnaud, Oblat de

Marie Immaculée, au R.P. Durocher, de

la même Compagnie

Escoumains, 3 janvier 1857.

Mon Très-Révérend Père,

Le long silence que j'ai gardé depuis mon départ de Québec doit vous surprendre, surtout après toutes les recommandations qui m'avaient été faites. Les chemins impraticables ont continuellement mis une barrière infranchissable à toute communication, et m'ont privé ainsi du bonheur de vous écrire. Si mon coeur avait pu [p.58] se faire entendre, vous auriez compris que mon silence était forcé ; car bien souvent, je puis dire,plusieurs fois par jour, je m'entretenais mentalement avec vous et nos Pères de Québec.

Voici en peu de mots l'itinéraire que j'ai suivi en quittant Québec ; le R. P. Babel vous a probablement donné le sien dans ses missions. Après avoir quitté la ville, nous fûmes transportés par un vent assez favorable jusqu'à l'Ile aux Grues ; là le vent du nord-est força notre capitaine à chercher un abri sous la Pointe aux Pins. Nous mîmes pied à terre et allâmes rendre visite à l'excellent curé ; il avait été convenu entre le capitaine et nous que nous ne partirions que le lendemain, dimanche, après nos messes dites. Déjà je me mettais en devoir de vous écrire quelques lignes, lorsque Eole, qui, à ce que je crois, a choisi cette île pour en faire sa demeure, souffle de tous côtés ; il faut regagner notre embarcation à la hâte. Les matelots lèvent l'ancre, hissent les voiles, mais la rage du vent nous force bien vite à les amener sur le pont. Nous passons à côté d'un brick naufragé. La nuit est obscure ; le vent du sud-est siffle à travers les cordages ; notre pauvre goëlette [sic], poussée par les vagues et ce déchaînent des vents, fuyait sur l'eau avec la vitesse d'un oiseau au vol. Fort heureusement le phare du pilier nous avertissait des ressifs [sic] sur lesquels il est bâti, et nous invitait à éviter la Roche à Veuillon [hauteur de St-Jean-Port-Joli ?]. Si cette bourrasque avait continué, nous aurions été rendus en quelques heures à notre première destination ; mais que d'espérances déçues dans une pareille navigation ! Plus on s'éloignait, moins on ressentait le vent ; bref, après quatre jours nous mettions pied à terre. Je n'eus que le temps de débarquer mes effets, je laissai le P. Babel s'arranger avec le reste ; et je partis tout de suite par un canot qui était arrivé des Belsémits [Betsiamite], venant me chercher pour des malades. Je priai le R.P. Babel de vous écrire, pour vous annoncer notre arrivée et mon nouveau départ, [p.59] et recommander nos missions aux prières de nos Pères de Québec.

En descendant, je dis la sainte messe à Mille-Vaches. Je continuai ensuite ma route pour les Belsémits, où j'arrivai le seize novembre. Il y avait là plusieurs malades ; j'étais à temps pour en administrer quelques-uns, qui sont décédés presqu'aussitôt après. Que le sauvage est content de mourir, lorsqu'il voit le prêtre ! La maladie régnait aussi à Papinachoix [sic] ; j'y fis deux voyages. De là je me rendis avec deux Canadiens à la Pointe aux Outardes, où se trouvent trois familles catholiques : une canadienne, une écossaise et une irlandaise. Le lendemain nous nous mîmes en route pour les Belsémits ; un incident nous attendait. Nous partîmes à dix heures, la mer étant à peu près demi-basse ; on disait que c'était le moment le plus propice pour traverser sans rencontrer les glaces. Il y avait à peine dix minutes que nous avions laissé la terre que déjà nous étions entourés de glaces fines de tous côtés. Impossible d'avancer ou de revenir sur nos pas, notre canot fut percé ; ce ne fut qu'à sept heures du soir que nous pûmes mettre pied à terre.

Je partis deux jours après pour le Sault-au-Cochon, avec deux de mes gens. Je fis ensuite la mission de Port-Neuf. Dans le même temps une chaloupe, montée par plusieurs sauvages, faisait voile pour les Escoumains ; ils allaient chercher des provisions ; ils avaient appris que le bateau du capitaine Hervieux, qui contenait quelques barils de farine pour les Belsémits ne devait point descendre, et ils étaient montés exprès pour quérir ces provisions. À peine, en revenant, avaient-ils quitté les Escoumains, qu'une tempête du nord-est, accompagnée de neige, vint fondre sur eux, comme ils se trouvaient en face de Mille-Vaches ; le bateau put gagner les îlots près de Placide, la chaloupe se réfugia près des Petits-Escoumains où ils furent sur le point de périr ; le surlendemain ils arrivaient à Port-Neuf. Là, un nouveau danger les attendait encore, ils [p.60] échouèrent plusieurs foissur les bancs de sable qui sont au large de la pointe ; il ne faisait pas encore jour, et la mer était furieuse ; ils furent sauvés, on peut le dire, comme par miracle ; car, quoique la mer brisât de tous côtés, leurs embarcations ne prirent point d'eau et ils parvinrent peu-à-peu à regagner le large. Lorsque le jour arriva, ils étaient près du Bic ; ils portèrent de nouveau au nord, et débarquèrent à petite distance du lieu où j'étais. Là, ayant appris que je me trouvais au Poste, ils vinrent aussitôt me voir. En ce moment je montais en voiture avec M. Peverly pour me rendre à Mille-Vaches ; ils me prièrent de ne point les abandonner, remarquant que le mauvais temps ne nous permettrait peut-être pas de faire ce trajet une semaine avant Noël ; nous étions alors au 29 novembre. Je redescendis au Belsémits pour y passer les fêtes de Noël. Là se trouvaient vingt-deux familles montagnaises, 10 veufs ou veuves, les deux familles canadiennes de la Pointe-Belsémits, et une de Papinachoix. Notre petite fête a été magnifique : ceux de nos sauvages qui voyaient pour la première fois la minuit ne pouvaient revenir de leur étonnement, surtout lorsqu'ils ont aperçu notre joli petit Enfant Jésus, donné par les bonnes Dames du Bon Pasteur : ''Il est trop beau, me disait un sauvage, pour avoir été fait sur la terre, certainement il t'a été donné au ciel.'' Parmi les lettres écrites par les sauvages que je vous envoie, il y en a une à l'adresse de la Supérieure des Dames du Bon Pasteur, pour la remercier du pieux don qu'elle leur a fait. Le temps que j'ai passé avec eux, je l'ai employé à faire quelques instructions, à leur apprendre quelques chants ; ainsi ils savent très-bien le TOTA PULCHIRA ES, MARIA, qu'ils chantent à deux choeurs.

Il me reste maintenant à vous parler de la misère de nos sauvages, qui est bien grande ; la plupart se sont trouvés là un peu malgré eux ; plusieurs étaient redescendus des terres pour [p.61] quérir de nouvelles provisions. Le commis attendait une goëlette chargée de farine, mais la goëlette n'est pas arrivée, elle est encore attendue pour le printemps prochain. Les rivières se couvrent de glace, nos sauvages préparent alors leurs raquettes et leurs traînes. Je ne vous parlerai pas du froid qu'on a enduré ; on a été ensuite si bien dédommagé par le doux temps qui est survenu, qu'on a bientôt oublié les engelures et les cuissons. Je me suis mis en route le 26 décembre pour les Escoumains. La providence nous a bien favorisés, car des Belsémits nous nous sommes rendus directement en canot jusqu'à Port-Neuf, sans avoir rencontré aucune glace : au dire des sauvages, ils n'avaient jamais eu si beau à voyager dans cette saison. J'ai fait, en remontant, la mission de Mille-Vaches, où se trouvent en ce moment dix familles canadiennes et tout l'équipage d'un brigantin, qui est venu en naufrage lors de cette terrible tempête de nord-est, accompagnée de neige, qui faillit faire périr plusieurs de nos pauvres sauvages. Tous les gens de cet équipage, au nombre de huit, sont catholiques, écossais, anglais et irlandais ; ils ont assisté avec beaucoup de piété à la sainte messe. Le deuxième jour de janvier j'arrivai aux Escoumains. Le R.P. Babel fut dans la joie, car depuis longtemps il n'avait pu s'absenter, ses malades l'avaient retenu jusqu'à présent. Aujourd'hui il est monté dans les camps, armé comme un chasseur tyrolien ; il est allé prendre quelques jours de vacances au chantier de M. Rémi Boucher ; à son retour il partira pour les Bergeronnes et autres lieux pour faire la quête de l'Enfant Jésus. Il se plaint de sa santé, il ne paraît pas si bien que de coutume ; j'espère que les éléments purs qu'il va respirer à pleins poumons dans les bois, lui seront salutaires.

Je vous prie, mon très-révérend Père, de nous bénir au commencement de cette nouvelle année, ainsi que tous nos pauvres sauvages. Quoique le R.P. Babel soit absent, je me fais l'écho de [p.62] son coeur pour vous saluer de sa part avec un amour tout filial.

Votre fils tout dévoué et affectionné,
In Christo Jesu,

CH. Arnaud, Ptre.,
O.M.I.