1874 - Rapport sur les missions du Diocèse de Québec - Volume 21



Collectif. Rapport sur les missions du Diocèse de Québec, du Diocèse de Rimouski et autres missions qui en ont ci-devant fait partie, vol. 21, Québec, Imprimerie P.G. Delisle, mai 1874, 150 p. Disponible en ligne : http://www.google.ca/books?id=IVtNAAAAYAAJ, consulté le 5 octobre 2012.

p.27

Missions de la Pointe aux Esquimaux, Labrador.

Extraits de la correspondance du Revd. M. Perron,
missionnaire de la Pointe aux Esquimaux.

Pointe aux Esquimaux, 22 juin 1872.

Monseigneur,

J'ai fait le recensement de la Pointe aux Esquimaux. En y comprenant 11 familles récemment arrivées des Iles de la Magdeleine, il y a 369 communiants, et 196 qui n'ont pas communié. Nous attendons, encore cet automne, un certain nombre de familles des mêmes îles qui n'y peuvent plus vivre. Deux nouvelles goëlettes ont été acquises par nos pêcheurs, trois autres sont sur les chantiers pour prendre la mer au printemps, et deux viennent d'être achetées à des propriétaires d'Halifax. C'est la richesse de la Pointe.

[p.28] Par la comparaison avec le recensement précédent V.G. verra combien la population a augmenté ; c'est ce qui rend pénible l'absence du prêtre plusieurs mois.

Voici quelques détails sur ma mission d'hiver. Partant le 29 janvier, je me suis rendu à environ 20 lieues d'ici, visitant sur ma route Mingan, la Longue Pointe, la Rivière St. Jean, Magpie, Jupitagan et la Rivière au Tonnerre. Les chemins étaient horribles, il m'a fallu en faire un tiers en raquette. Les travaux de la chapelle sont très avancés ; un excellent ouvrier les conduit ; et le bois pour 4 autres chapelles, en différents endroits, est coupé et sur place. Pres    que tout le monde a montré beaucoup de zèle dans l'exécution de ces travaux.

J'ai eu le bonheur, dans ce voyage, d'admettre à la première communion un vieillard de 80 ans ; je l'ai aussi confirmé, et rien n'était plus admirable que sa joie : il se sentait rajeuni de 50 ans. Dans la même mission j'ai donné à trois adultes les sacrements de pénitence, d'eucharistie, de confirmation et d'extrême-onction, et quelques temps après ils laissaient la vie, ayant édifié tout le monde par leurs bonnes dispositions. Cette fois, j'ai trouvé partout les enfants mieux préparés pour la première communion.

Le 13 février, sur mon retour, je disais la messe aux braves gens de Mingan, et j'arrivais le soir à la Pointe pour y donner les Cendres le lendemain matin.

Dès le deuxième dimanche du carême, j'annonçai les pâques pour les pêcheurs au loup-marin ; ils sont au nombre d'environ 200. Ils traînèrent en longueur dans le but de retarder mon départ pour les missions d'en bas ; car mes absences prolongées leur font peine. Néanmoins je les confessai tous ; je fis ensuite faire la première communion [p.29] à plusieurs enfants fréquentant nos deux écoles de la Pointe, et je leur donnai la Confirmation, ainsi qu'à quelques adultes venus des Isles de la Magdeleine.
Je partais le 4 mars au soir, et en trois heures je me rendais à Betchouan, éloigné de 7 lieues ; j'étais fiers de mes chiens !
Le temps étant très mauvais durant cette semaine, je ne pus me rendre à Nataskouan que le samedi, mais assez tôt cependant pour y célébrer la St. Joseph. Je m'y arrêtai 5 jours, au bout desquels on vint me chercher de Kékaska pour enterrer une femme morte le 11 mars, et pour administrer un homme en grand danger. Je n'eus que le temps de faire faire les pâques à ceux qui partaient pour la chasse au loup-marin.

Je fus rendu à Kékaska le 14 à 8 heures, et durant les trois jours que j'y restai je confessai les pêcheurs, remettant comme à Nataskouan, de confesser les autres à mon retour.

Je couchai à la Romaine et donnai le lendemain la mission à la Pointe à Dumorier. Le 22 mars, avant veille des Rameaux, j'étais arrivé au Petit Mécatina : trois familles s'y étaient disposées à la mission. Un jeune homme, aidé d'une personne qui sait lire, s'est instruit de la religion en étudiant le catéchisme : il est venu me trouver, faisant pour cela 9 lieues dans l'eau à mi-jambe. J'étais à Souriban (1) (poste de la terre ferme situé en arrière de la Tête à la Baleine), et je fus singulièrement touché du désir, du zèle et de la bonne volonté de ce jeune homme ; des larmes s'échappaient de mes yeux malgré moi, lorsque je lui donné le pain des Anges et que je lui administrai le sacrement de confirmation.

[p.30] En laissant Souriban le mercredi saint, je gagnai la Tabatière : Je m'y arrêtai quatre jours, m'occupant à donner la mission à 8 familles qui vinrent des environs ; car il n'y a qu'une seule famille à quelques arpents de la chapelle. Je préparai un mariage qui fut célébré à mon retour, le lendemain de la Quasimodo.

Dans l'intervalle, je visité Kikapoué et St. Augustin ; c'était le premier avril. Je fis là deux missions, puis, en remontant, une autre sur les Rigolets, à 3 lieues des deux autres.

Le 9 avril, j'ai donné la confirmation à plusieurs personnes à la rivière du Gros Mécatina ; et j'ai été retenu deux jours à la Romaine par une pluie abondante, qui avait rempli les cours d'eau à pleins bords et cassé la glace sur les baies. Le dimanche 14, je repris ma route tantôt sur le fonds de quelques baies épargnées par le vent, tantôt sur le sommet des montagnes presque toutes dépouillées de neige. Je réussis à gagner Masquaro avec grande difficulté, après avoir fait plutôt 12 lieues que 8 que l'on compte pour cette route : je m'y occupai des trois personnes qui s'y trouvent.

Le 17, je fis les confessions et les pâques à Kékaska ; du 23 au 25, j'entendis les confessions à Nataskouan, où je donnai la communion pour la première fois et la confirmation à 8 enfants. Une goëlette de la Pointe, chargée de loups-marins et qui avait fait 10 lieues pour venir me chercher, me prît le jour de St. Marc, et me déposa à ma chère Pointe le lendemain à 5 heures de l'après-midi, un mois et vingt-deux jours après mon départ : j'avais parcouru au-delà de 200 lieues !

J'aime à constater ici le résultat de la pêche : 21 goëlettes ont capturé 4380 loups-marins ; ce résultat est regardé comme excellent.

[Omission de la mission du même prêtre dans la partie à l'ouest de la Pointe aux Esquimaux, datée du 23 juillet 1873, pp.31-32]

J.O. PERRON, Ptre.,
Missionnaire.


(1) Mot sauvage qui veut dire : ''endroit où il y a de l'argent''.
                                         

p.33

Mission de Nataskouan, Labrador.

Extraits de lettres écrites à l'Evêché de S.-G. de
Rimouski, par messire Jacob Gagné, mission-
naire de Nataskouan.
Nataskouan, 18 juillet 1872.
Monsieur le Grand Vicaire,

Le Napoléon III touchait presque Nataskouan samedi, à midi ; mais le vent violent qu'il faisait l'a empêché de rester mouillé et l'a forcé d'aller prendre refuge dans un meilleur hâvre, à Kékaska, 30 milles plus bas. J'en ai profité pour faire l'office le lendemain aux gens de ce poste, grâce à l'obligeance du Capt. Gourdeau, qui a bien voulu ne partir qu'à 4 heures du matin, et nous laisser le temps à MM. Bonneau et Laliberté et à moi de célébrer la sainte messe.

J'ai donné une instruction aux gens et fait deux catéchismes. Les mêmes exercices ont eu lieu le lundi. Il y a dans ce poste 22 familles et 30 enfants capables de fréquenter une école. La chapelle n'est pas couverte, et malheureusement 13 familles de ce poste se disposent à se transporter à Betchouan, 6 lieues en deça de de la Pointe aux Esquimaux. J'espère néanmoins réussir à faire terminer la chapelle et à établir une école, qui pourrait se faire avec la permission de Mgr. dans la petite sacristie qui sera construite, en attendant que la maison soit bâtie.

[p.34]

Pied-Noir, 12 août 1872.

S'il y a des déboires et des fatigues sur cette côte pour les Missionnaires, on y trouve aussi bien des consolations. Partout reçu comme un père qui n'aurait pas vu ses enfants depuis bien des années, le prêtre ne saurait décrire la joie, le contentement que son arrivée cause dans les familles. On voudrait pouvoir le posséder pendant des semaines, chose impossible pourtant. Il faut que chacun ait sa part de joie. C'est surtout chez les familles irlandaises, depuis Bonne Espérance jusqu'ici, que se manifestent ces sentiments. Le missionnaire est heureux de constater que les mères y élèvent chrétiennement leurs enfants et qu'elles les instruisent aussi bien qu'elles le peuvent des vérités de notre sainte religion ; les familles sont généreuses pour leur chapelle, et leur école est fréquentée en hiver par plus de vingt enfants. J'emmène avec moi un de ces enfants ne parlant pas un mot de français ; je lui donnerai de l'instruction, et en même temps j'apprendrai l'anglais en l'entendant parler.

J'ai le plaisir de passer ici quelques jours de repos avec mon voisin, le Révd. M. Brown, du diocèse de Harbour-Grace, qui a, comme moi, plus de cent lieues de missions à parcourir. Il ne parle pas français du tout, mais nous nous comprenons toujours ; nous mêlons dans nos conversations le français, l'anglais et le latin, et, moyennant quelques gestes un peu expressifs, nous complétons notre pensée.

J'ai rencontré M. Perron, missionnaire de la Pointe aux Esquimaux, le 27 juillet, avant de commencer les missions d'en bas ; j'ai eu aussi l'avantage de voir le Révd. Père Buckle à la Tabatière : il arrivait de Québec.

[p.35]

Nataskouan, 13 juin 1873.

J'ai parcouru cet hiver toutes mes missions, d'une extrémité à l'autre ; ce voyage a duré plus de trois mois, et j'ai pu faire partout le catéchisme à mon goût. Sur le Cométique depuis le 28 janvier jusqu'au 24 avril, dans des chemins presque impraticables et par des tempêtes de neiges fréquentes, je n'ai pas besoin de dire qu'à mon retour ici j'étais bien fatigué. Je traversais quelquefois de belles baies sur la glace bien dure et unie ; mais il fallait aussi, souvent, prendre la raquette et marcher à côté du Cométique, aidant aux chiens qui ne pouvaient se démêler dans la neige avec peine. Bien plus, quand la glace est cassée dans les anses, il faut prendre la voie des montagnes, parcourant tantôt le fond d'une vallée, tantôt les hauteurs. Pour ne pas trop m'ennuyer et ne pas éprouver de découragement, il ne faut pas que je pense à l'extrémité de la route à parcourir ; mais je me dis : je vais au poste voisin, à 3 ou 4 ou 10 lieues. De cette façon, le long trajet se fait presque sans s'en apercevoir. Ainsi, aujourd'hui, toutes mes misères et mes courses me paraissent comme un véritable rêve. Il me semble que, grâce à la longueur du chemin et à la rigueur excessive du froid  enduré sur la route, le bon Dieu a béni les travaux du pauvre missionnaire.

J'ai reçu l'abjuration d'un jeune protestant de la Baie des Moutons : c'était la première fois que j'avais l'indicible bonheur de faire entrer dans la véritable Eglise une personne appartenant à la secte anglicane. Je ne comprenais pas bien mon coeur en ce moment : il était enivré de joie par la cérémonie touchante qui accompagna la profession de foi du néophytes, et par les grâces abondantes que je savais lui être conférées par un Père prodigue de ses richesses envers ses enfants. Le triomphe était d'autant plus grand que le ministre [p.36] anglican avait tenté de m'enlever cette ouaille : accompagné de deux femmes, il avait fait une marche de trois lieues à la raquette pour se rendre auprès du jeune homme. Mais, malgré tous les efforts d'un zèle digne d'une meilleure cause, il ne put pervertir celui qui était catholique dans le coeur, ni même l'ébranler le moisn du monde dans sa foi. Voyant qu'il n'avait rien gagné de ce côté, il se tourna vers une autre direction. A force de faux arguments, d'intimidation, et de promesses de lard et de farine, il réussit à empêcher une autre conversion qui se préparait. Je rencontrai cette personne quelque temps après, et sa seule réponse à mes observations sur sa faiblesse, fut ces paroles : ''J'ai vu le ministre'' ; et cependant de grosses larmes tombaient de ses yeux. Evidemment la grâce de Dieu opère encore un travail dans cette âme inquiète : espérons et prions.

En revanche la lumière, rejetée par celle-là, commence à éclairer un de ses frères et une de ses soeurs qui, avec deux autres personnes, se préparent à abjurer l'hérésie l'été prochain, s'ils sont alors prêts et suffisamment instruits. Plaise au Seigneur de les faire persévérer dans leur bon dessein !

Je me tiens en bons rapports avec les protestants : je les ai tous visités, autant qu'il m'a été possible. Cette visite leur fait bien du plaisir, et, loin de les éloigner, est propre à faire tomber les préjugés qu'ils ont contre nous et notre sainte religion. Je suis reçu à peu près partout avec une exquise politesse, et je trouve tout le monde disposé à me rendre toute espèce de services. Plusieurs sont venus me conduire en berge à 8 et 10 lieues ; d'autres m'ont fait monter avec plaisir sur leur propre cométique, Chaque fois que j'ai eu l'occasion de leur passer quelque bon livre, je n'ai pas manqué de le faire : je me suis particulièrement [p.37] occupé de deux pauvres malheureuses que l'orgueil a fait tomber dans l'hérésie.

Archevêché de Québec, 17 juillet 1873.

Le steamer sera prêt à midi, et je m'y embarquerai pour mes chères missions. J'ai été un peu contrarié par un retard de quelques jours ; mais j'en ai profité pour quêter des livres qui formeront ma bibliothèque de missions. Le Révd. M. Bonneau, entre autres, m'a donné une caisse pleine de livre de controverse en anglais. Les Dames religieuses de l'Hôtel-Dieu me font pour rien un parement d'autel vert et violet ; j'ai acheté de beaux chandeliers, et fait encadrer deux jolis chemins de croix, l'un pour Kékaska et l'autre pour la Tête à la Baleine. Je descends avec moi un grand nombre d'images du Sacré Coeur de Jésus, du Saint Coeur de Marie et de St. Joseph pour en répandre sur toute la côte.

Nataskouan, 1er août 1873.

J'ai fait une très-belle descente en quatre jours : la mer a toujours été calme, chose assez rare dans nos parages. Il y a dix jours à peine que je suis rendu et déjà je pars pour ne revenir qu'à la fin d'octobre. Mes bons fidèles ont assisté à ma messe ce matin, et me voyant partir pour si longtemps, plusieurs s'en affligent. Je leur ai dit quelques mots ; et mon coeur s'est trahi : j'ai été obligé de tirer le mouchoir pour essuyer quelques larmes. Souvent je me dis : ''Quels ne doivent pas être les sentiments de ceux qui demeurent toujours à cent lieues du prêtre et qui ne le voient qu'en passant ?''

Agréez, M. le Grand Vicaire, etc.

JACOB GAGNÉ, Ptre,
Missionnaire.


                                        

p.88

Missions du Labrador, etc.

1er Rapport adressé à Mgr. Langevin par le Rév. M.
Bonneau, de l'Archevêché.

Archevêché de Québec, 25 Septembre 1872.

Monseigneur,

C'est avec bonheur que je m'acquitte de la promesse que j'ai faite à Votre Grandeur de lui envoyer la relation de la mission que je viens de faire à l'Ile d'Anticosti, au Labrador et autres lieux placés sous la juridiction de votre grandeur, de l'Evêque de Hâvre-de-Grâce, et du Préfet Apostolique de la Baie St. Georges dans l'Ile de Terre-Neuve.

Tout était disposé pour ce voyage ; j'avais obtenu du ministre de la Marine, à la demande de Votre Grandeur, une admission sur le ''Napoléon III,'' bateau du gouvernement, envoyé dans ces lieux lointains pour l'approvisionnement des phares. Monseigneur l'Archevêque m'avait autorié bien volontiers à profiter de cette occasion pour réparer mes forces, tout en étant utile aux âmes qu'on y rencontre.

Le cinq juillet au soir, après nous être mis sous la protection de Marie Immaculée, la patronne des voyageurs, et avoir reçu la promesse que des prières ferventes monteraient au ciel pour le succès de notre voyage, nous nous rendîmes au bateau, lequel devait peu d'heures après se mettre en route sous le commandement de l'habile capitaine Gourdeau. Outre M. l'Abbé N. Laliberté de l'Archevêché, M. [p.89] C.B. Genest, avocat du barreau des Trois-Rivières et ancien membre du parlement, M. le Dr. Deguise de Québec et quelques autres, M. l'Abbé Gagné [1], qui venait d'être choisi pour la mission de Nataskouan, devait être l'un de nos compagnons de voyage. Aussi nous arrètâmes-nous, sur le soir du 6 juillet, à la Pointe-aux-Pères pour y débarquer quelques passagers, et recevoir ce digne Prêtre. Le lendemain, dimanche, sur les 10 heures A.M., tout l'équipage se réunit sur le pont, au son de la cloche, et nous récitâmes les prières de la messe ; et c'est ce que nous fîmes les deux autres dimanches que nous passâmes sur le ''Napoléon III.'' Après avoir approvisionné le phare des Sept-Iles, nous entrâmes dans la magnifique baie de ce nom, pour y passer la nuit en sûreté.

Dans ce lieu se trouve une belle chapelle où les sauvages, qui y étaient réunis quelques jours auparavant, avaient assisté aux exercices de la mission donnée par le Rév. P. Babel, O.M.I.; le Rév. M. Perron, curé de la Pointe-aux-Esquimaux, avait aussi administré les sacrements aux quelques familles canadiennes qui y sont établies.

Le 8 juillet, le fort vent de nord-ouest nous empêchant de nous arrêter à la Pointe-Ouest d'Anticosti, nous nous dirigeâmes vers Ellis Bay, ou Baie de Gamache, où je descendis à terre sur les 10 heures A.M.; nous dûmes attendre, à cause du vent, à la nuit suivante pour débarquer les approvisionnements. Je restai à terre tout ce temps, et j'instruisis pour sa première communion une petite fille appartenant à une excellente famille canadienne qui vit, dans ce lieu, de pêche et de culture.

Ces bonnes gens assistèrent aux instructions que je continuai jusqu'à la nuit. Le lendemain, de grand matin, MM. Laliberté et Gagné vinrent me joindre, et, tous trois, nous eûmes le bonheur de célébrer les saints mystères. Outre la petite fille [p.90] dont je viens de parler, qui fit sa première communion, et les autres membres de sa famille, quelques-uns de nos compagnons de voyage communièrent aussi. Durant la messe l'un de nous fit une courte instruction sur cette importante action ; les parents de cette enfant en furent touchés jusqu'aux larmes. Puis nous partîmes pour la Pointe-Ouest où le vent, devenu favorable, nous permettait d'aborder. A peine avions-nous jeté l'ancre qu'une embarcation de la Baie des Anglais, située à quelques milles au nord-est du phare, venait nous prier de nous rendre dans ce lieu où se trouvaient une quinzaine de familles, et où quelques enfants n'avaient pas encore reçu le baptême. MM. Laliberté et Gagné voulurent bien m'y accompagner. Nous nous mîmes à l'oeuvre sans délai ; M. Laliberté eut la bonté de se charger de l'instruction et de la confession des enfants au nombre d'une vingtaine, dont quatre purent le lendemain faire leur première communion, pendant que M. Gagné et moi nous entendîmes les confessions d'une quarantaine de personnes. Sur le soir, MM. Laliberté et Gagné se rembarquèrent ; pour moi, resté au milieu de ces braves gens pour leur dire la sainte messe le lendemain, je baptisai deux enfants, et je prolongeai jusque tard dans la soirée une instruction que je donnai à toute la population réunie sur la prière, sur les dispositions à la communion, etc. ; puis je réglai quelques difficultés qui s'étaient élevées au sujet de l'école établie dans ce lieu, dès l'année précédente, et soutenue par une subvention que l'Hon. M. Chauveau, Ministre de l'Instruction Publique, avait accordée à ma demande. La population de ce lieu s'est accrue depuis l'année dernière : deux familles catholiques sont venues de Terre-Neuve ce printemps, quelques autres de divers endroits de la Gaspésie, de sorte que le nombre des enfants capables  d'aller à l'école s'élèvera probablement à trente l'hiver prochain. [p.91] Aussi je promets à ces bons parents de m'adresser à l'Honorable M. Chauveau pour obtenir un octroi plus considérable. Aujourd'hui je suis heureux d'annoncer à Votre Grandeur que l'Hon. Ministre vient d'ériger cette partie d'Anticosti en municipalité scolaire, et d'accorder la somme de $60.00 pour le soutien de l'école. Enfin, après avoir fortement recommandé à la petite population de défricher et de cultiver la terre, et de se mettre ainsi à l'abri du besoin, si la pêche très-abondante, depuis quelques années, venait à manquer, je la congédiai. Le lendemain à 4 heures A.M. tout le monde étant réuni dans la maison de M. Wright, je célébrai la sainte messe, à laquelle 32 personnes communièrent, et où je fis deux instructions. Puis je pris congé d'eux, non sans leur avoir promis de prier Votre Grandeur de leur donner un prêtre résidant.

Sur le bateau, j'appris que nous partirions vers midi ; je redescendis de suite au phare, où je baptisai un enfant, et confessai cinq personnes. Nous nous rendîmes successivement à la Pointe Sud Ouest de l'Ile d'Anticosti, où je confessai six personnes ; à Chaloupe Creek, où j'en confessai quatre ; à la Pointe Sud, où quatre personnes s'approchèrent aussi du tribunal de la Pénitence ; enfin à la Pointe Est de la même Ile, où je confessai toute la famille du gardien composée de sept personnes. Le lendemain de notre départ de la Pointe Sud-Ouest, je fus appelé auprès de l'un de nos matelots, gravement malade, et je le confessai ; mais grâce aux soins intelligents qui lui furent donnés par M. le Dr. Deguise, habile médecin de Québec, et l'un de nos compagnons de voyage, il fut bientôt hors de danger.

Nous fûmes retenus plusieurs heures à la Pointe-Est par une brume si épaisse que pour assurer le retour au vaisseau des chaloupes de débarquement, [p.92] on dût faire retentir sur le Napoléon III le sifflet à la vapeur et sonner la cloche du bord.

Enfin, le 13 juillet, de grand matin, la brume s'étant dissipée, nous nous dirigeâmes vers Nataskouan, sur la côte du Labrador, où nous devions laisser le Révd. M. Gagné, le nouveau missionnaire du lieu. Nous jetâmes l'ancre vis-à-vis l'église, construite sur une petite élévation et un peu isolée des maisons du village, qui nous ont paru être bien bâties et au nombre d'une cinquantaine.

Un fort vent de Nord-Ouest ne nous permit pas de débarquer, et nous dûmes, après quelques heures, nous rendre à 26 milles à l'Est, à la Baie de Kégashka où nous arrivâmes sur le soir. La petite population de ce beau hâvre, composée en grande partie d'Acadiens venus du Cap Breton, reçut le Révd. M. Gagné, le nouveau pasteur, avec toutes les démonstrations de la joie et de la vénération. Les jeunes gens s'offrirent immédiatement à le transporter en barge jusqu'à Nataskouan, et à lui rendre tous les services possibles ; et leurs proportions herculéennes font espérer qu'ils franchiront en peu de temps les douze lieues qui séparents Kégashka de la principale résidence du missionnaire. Ce bon monsieur dut être enchanté des premières ouailles qu'il rencontrait. Il y a quelques années, alors que le Révd. M. Auger desservait cette mission, on a commencé la construction d'une église en bois qu'on a depuis interrompue ; elle ne s'élève qu'à une dizaine de pieds au-dessus de terre. En attendant, c'est chez le père Giasson, vénérable vieillard acadien, que la petite population se réunit pour assister au service divin ; c'est là aussi que le missionnaire reçoit toujours la plus cordiale hospitalité.

Le lendemain, 14 juillet, étant un dimanche, il fut décidé que nous dirions la sainte messe à 2 heures du matin afin de ne point retarder le Napoléon III [p.93] qui devait partir au lever du soleil pour Pointe Riche, côte Nord-Ouest de Terreneuve ; puis, M. Laliberté et moi, nous nous rembarquâmes : M. Gagné resta chez son hôte. Le lendemain, avant 2 heures du matin, suivis de plusieurs compagnons de voyage, nous descendîmes à terre, et nous eûmes, tous les trois, le bonheur de célébrer la sainte messe en présence de toute la petite population de l'endroit. Puis ayant recommandé M. Gagné aux SS. Anges, nous nous séparâmes de ce cher confrère à regret. Sa mission est l'une des plus pénible de notre pays. Il a plusieurs centaines de milles de côtes à parcourir. Il visitera les populations, confiées à sa sollicitude, deux fois l'an, l'été et l'hiver ; l'été, il ira en barge d'un poste à l'autre ; l'hiver, le cométique traîné par douze, quinze et même vingt chiens, le transportera encore plus rapidement ; souvent il devra chausser la raquette et parcourir ainsi plusieurs milles. C'est à peine s'il passera quatre m ois de l'année à Nataskouan, le chef lieu de ses missions. Le reste de l'année il voyagera sans cesse, ne demeurant que deux ou trois jours sous le même toit. En revanche, il sera partout reçu comme l'envoyé du ciel ; jamais on ne se fatiguera d'entendre de sa bouche les paroles du salut ; partout on lui donnera des marques de reconnaissance et de vénération ; s'il a beaucoup à souffrir au physique, ses peines morales seront bien moindres ; la plus sensible de toutes pour un bon prêtre, c'est qu'il pourra être douze mois sans rencontrer de confrère et sans pouvoir se confesser. Mais le Divin Maître, qui l'envoie, ne saurait l'abandonner.
A 4 heures A.M. nous étions en route pour la Pointe Riche, côte nord-ouest de Terre-Neuve, où nous arrivions sur les 9 heures du soir. Je désirais vivement visiter la petite population de Nouveau-Port-au-Choix, à quelques milles au nord-est de [p.94] Pointe-Riche, que j'avais évangélisée l'année précédente, mais qui depuis vingt années n'avait pu recevoir la sainte communion. Mes voeux furent exaucés ; le vent de sud ouest nous força d'aller jeter l'ancre à l'entrée de ce port. Sur les 11 heures du soir, grâce à l'obligeance du capitaine Gourdeau, je pus débarquer dans un canot commandé par le troisième officier, M. Dubé. L'un des matelots, qui avait aidé, quelques années auparavant, à décharger dans ce lieu la cargaison d'un goëlette, nous fut d'un grand secours pour trouver l'entrée  du petit hâvre. Il était minuit quand je frappai à la porte du bon père Meagher, qui me reçut parfaitement. Quelques familles étaient absentes de l'endroit, car je n'y étais attendu que la semaine suivante. La petite population fut bientôt sur pied, et tous, hommes, femmes et enfants se réunirent chez mon hôte. Madame Eastman, dont j'ai déjà eu occasion de vous parler dans mes rapports précédents, cette vénérable octogénaire qui a tant contribué à instruire ces bonnes gens, et à maintenir la foi parmi eux, s'y rendit aussi. Je commençai de suite l'instruction, que je continuai jusqu'au matin ; je fus écouté de tous, même des enfants, avec la plus vive attention. Puis je m'assurai que quatre personnes étaient suffisamment instruites pour faire leur première communion, et, parmi elles, cette jeune fille qui s'était convertie au catholicisme, et que j'avais baptisée, l'année précédente. Après avoir entendu toutes les confessions, je célébrai la sainte messe, durant laquelle je fis deux instructions, et à laquelle dix personnes communièrent avec toutes les démonstrations de la foi et de la piété la plus vive. Je renonce surtout à décrire le bonheur, j'allais dire le ravissement, de Mme. Eastman, après sa communion. Après le déjeuner, auquel cette vénérable dame fut invitée, j'allai réciter les prières de l'Eglise sur les tombes [p.95] des deux filles du père Meagher, mortes toutes deux dans l'année. Le petit cimetière  est entouré d'une palissade, et est parfaitement entretenu. Puis je me rends au rivage, suivi de ces bonnes gens qui ne m'ont point quitté ; je me sépare à regret de Mme. Eastman. Cette excellente femme est au comble de ses voeux, elle a eu le bonheur de recevoir N.S. ; pourtant une pensée l'afflige profondément : elle n'aura point de prêtre à sa dernière heure pour la préparer au passage de l'éternité..... Pauvre dame, elle se recommande instamment à nos prières, et je les lui promets de bien grand coeur. Si mes voeux sont exaucés, j'arriverai à temps, une autre année, pour lui administrer les sacrements. Le père Maegher et ses deux fils me transportèrent au Napoléon III, où je toruvai le capitaine sur le point de se rendre dans le canot au phare de Pointe-Riche ; je me décidai à l'y accompagner afin de tout préparer  pour la messe que j'espérais dire le lendemain matin, chez le gardien. C'est ce qui arriva en effet. M. Laliberté et moi nous pûmes offrir le saint sacrifice, et, outre l'excellente famille chargée du soin de ce phare, deux de nos compagnons de voyage reçurent la sainte communion.

Sur le soir du même jour, mardi, 16 juillet, nous étions à Forteau, côte du Labrador, où je confessai quatre personnes dont deux au service de M. Davis, de l'anse Amour. Puis, le lendemain de grand matin, nous partîmes pour Belle-Isle, située à l'autre extrémité du Détroit du même nom. Mais nous dûmes, à cause de la brume, chercher un refuge dans la magnifique Baie des Châteaux, où je confessai quatre personnes. Sur le soir, on vint me prier de me rendre à Henley Harbor, poste de pêche voisin, pour y bénir un mariage, et y baptiser trois enfants. C'est ce que je fis ; j'y confessai aussi huit personnes, et je promis à ces bonnes [p.96] gens de revenir le lendemain matin, si la brume ou le vent contraire empêchait notre steamer de partir pour Belle-Isle. Le lendemain, avant le jour, la brume étant toujours très-épaisse, les jeunes gens de ce poste arrivaient à bord du Napoléon III ; ils me transportèrent, dans une barge, avec M. Genest qui voulut bien m'accompagner pour préparer ma chapelle et me servir la messe. Le temps était froid, humide, et nous avions devant nous plusieurs banquises de glace de quelques centaines de pieds de largeur, et qui s'élevaient à une grande hauteur. J'y confessai encore quatre personnes et j'y célébrai la sainte messe à laquelle plusieurs communièrent. Je fis aussi une courte instruction sur les dispositions à la communion, et, après la messe, je m'apprêtais à en donner une seconde, lorsqu'on vint m'avertir que la brume se dissipait rapidement. Je me hâtai de m'en retourner, et j'arrivais à l'entrée de la Baie au moment où le Napoléon III en sortait. 

A belle-Isle, je fus reçu avec toute espèce de démonstrations de joie par la famille Irlandaise du lieu ; deux de ses membres, qui ne devaient pas remonter à Québec cette année, se confessèrent.
Le lendemain, nous nous rendîmes au Cap Norman, de là à Forteau, puis le dimanche soir nous jetions l'ancre dans le pittoresque petit Hâvre du Gros Mécatina, où nous trouvâmes un abri sûr contre le fort vent d'ouest qui soufflait alors. Nous fûmes extrêmement bien reçus par les deux frères Gaumont qui habitent Mécatina, y font la pêche du loup-marin, et y vivent dans l'aisance. Ils sont nés sur la côte du Labrador et mariés aux deux soeurs issues d'une respectable  famille de Berthier, près de Québec.

Ils accordent toujours la plus cordiale hospitalité au missionnaire de Nataskouan, quand il visite ces lieux, et ce fut avec bonheur que M. Laliberté et [p.97] moi nous acceptâmes l'invitation qu'ils nous firent de célébrer la sainte messe dans leur maison le lendemain, lundi 22 juillet. Nos compagnons de voyage et une partie de l'équipage y assistèrent.

Nous ne pûmes quitter ce lieu que le mardi matin, car le vent d'ouest ne nous permettait pas d'arrêter au Cap Wittle où, selon les instructions qu'il avait reçues du Ministre de la Marine et des Pêcheries, M. le capitaine Gourdeau devait choisir le site du phare que le gouvergement se propose d'ériger dans cet endroit. Le mercredi à midi, nous arrivions au Bassin de Gaspé.

Ma mission était terminée ; je laissai le Napoléon III qui devait prendre un nouveau chargement, et aller approvisionner les phares de l'Ile-aux-Oiseaux, des Iles de la Madeleine, etc., et je m'embarquai le lendemain avec M. Lalilberté dans le Secret ; le samedi suivant nous étions à Québec, trois semaines après notre départ.

Je n'ai eu durant tout le voyage qu'à me louer des égards et de l'obligeance du Capt. Gourdeau, de ses officiers et de tout l'équipage.

Je dois ajouter que la Divine Providence nous a conduits, jour par jour, heure par heure, pour la sanctification des fidèles que j'ai visités et le plus grand bien de leurs âmes, d'une manière si évidente que tous mes compagnons de voyage, prêtres et laïques, en étaient dans l'admiration. Le succès a toujours dépassé mes espérances ; Votre Grandeur comprendra cela encore mieux si Elle veut se rappeler le but que doit remplir le vapeur sur lequel je me suis embarqué. C'est de porter les approvisionnements aux phares bâtis dans les lieux les plus dangereux et les plus inabordables de notre Golfe et du Détroit de Belle-Isle. On doit donc profiter du temps favorable, jeter les approvisionnements à terre, puis aller, en toute hâte chercher un refuge contre la tempête dans quelque hâvre [p.98] sûr. Eh bien ! le bon Dieu a tellement tout disposé que toutes les personnes qui n'ont pas d'autre occasion de recevoir les sacrements, surtout la sainte Eucharistie, ont pu le faire cette année. Souvent mes calculs étaient déjoués, et c'était précisément quand je croyais que ces bonnes gens seraient privés du bonheur de recevoir N.S., que tout s'arrangeait, qu'une occasion m'était donnée beaucoup plus favorable que je n'avais osé l'espérer.

Aussi avons-nous rendu au ciel de vive actions de grâces, et remercié bien sincèrement les saintes âmes qui nous avaient accompagnés de leurs voeux et de leurs prières. 

J'ai l'honneur d'être, avec un profond respect,

Monseigneur,
De Votre Grandeur,
Le très-humble serviteur,

(Signé) E. BONNEAU, Ptre.




[1] REVD. LOUIS ARPIN. Né à St-Simon, diocèse de Saint-Hyacinthe, fils de Louis Arpin et de Thérèse Leroux ; ordonné à Rimouski, le 8 octobre 1868 ; vicaire à Carleton ; 1869, missionnaire du Nataskouan ; 1871, curé de Saint-Norbert du Cap-Chat ; 1872, curé de Saint-Martin de la Rivière-au-Renard ; 1875. curé de Saint-Moïse, avec la desserte de Saint-Edmond du Lac-au-Saumon.
Tiré de l'Album photo-biographique du clergé de Rimouski, p.11.